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Et JE créa la femme


Une nuit, tard, après avoir éclusé mes trois litrons de picrate, une vineuse pensée géniale prit corps dans mes neurones.
Puisque je possède une certaine aptitude à compter, lire et écrire, rien ne s’oppose à ce que Je me crée mon idéal féminin, me dis-je.
Le premier élément déterminant qui me vint à l’esprit fut qu’elle soit rousse.
Cette caractéristique conditionnait, en effet, que sa peau serait d’une blancheur diaphane, ses yeux d’un vert profond, sa bouche fine et sensuelle, ses seins généreux sur son corps souple et musclé.
L’enveloppe constituée, je l’auscultais sous tous les angles possibles.
J’admirais les rondeurs de ses fesses, le galbe de ses cuisses, la finesse des traits de son visage ….. Je la fis marcher, puis courir pour mieux apprécier la plasticité de ses seins bondissants et de sa chevelure caracolante.
Oui, elle était bien telle que je la souhaitais.
Mais, bien vite, je me rendis compte qu’il lui manquait le souffle de la vie car sitôt que je l’abandonnais à elle-même, elle se figeait statiquement sur place et tout son corps semblait s’affaisser tandis que son regard se perdait dans l’infini céruléen.
J’étais fort perplexe et quelque peu penaud.
Mais comment donc lui donner ce souffle divin ?
Quelques verres de pinard m’aidèrent à la tâche ….
Ce qu’il lui fallait, maintenant, c’était une cervelle avec un QI et des sentiments.
Mon QI tournant autour de cinquante, je me réservais d’autorité une petite marge de supériorité afin de conserver mon pouvoir sur ma création. Je lui octroyais un QI de 40.
Je fis, en même temps, l’inventaire des qualités que je lui concédais.
Elle serait obéissante, voire soumise en certaines circonstances, tendre, câline, affable, gaie, souriante, serviable, travailleuse, attentive à toutes mes exigences, patiente, élégante, raffinée, sobre (ça, j’y tenais beaucoup, surtout pour me ramener les soirs de beuverie).
Je m’arrogeais la prérogative d’ajouter d’autres qualités à cette liste, ultérieurement.
Son regard s’alluma et tout son corps se tendit.
Elle me regarda avec une douceur infinie et je lus dans ses yeux la reconnaissance que je méritais.
Elle remplit mon verre presque vide et j’y reconnus les signes de sa gratitude et de sa serviabilité.
Je me sentis plein de bonheur et d’allégresse.
J’entrepris de lui narrer ma dure journée de labeur bureaucratique et elle m’écouta longuement sans sourciller ni donner le moindre signe de lassitude.
Toujours prévenante, elle me resservait chaque fois que mon verre se vidait.
Soudain, je me sentis un peu las et je l’invitais à me suivre à notre chambre ; ce qu’elle fit docilement.
Elle me déshabilla et je n’ai plus aucun souvenir de ce qu’il advint ensuite.
Le lendemain matin, mon cerveau comateux baignant dans une brume opaque, je sentis, malgré tout, son flanc collé au mien et qui me tenait chaud.
Je la pris entre mes bras et elle su instantanément répondre avec ferveur et initiative à tous mes fantasmes les plus insensés.
J’étais comblé et assouvi.
Et les jours passèrent trop rapidement dans ce climat d’intense félicité.
Chaque instant était un ravissement, chaque heure une extase nouvelle et précieuse.
Nous étions en parfaite eutexie son âme était mon âme, son corps mon corps, son sexe le mien.
Pourtant, un soir, j’eus comme un sentiment d’ennui de tant de béatitude lascive.
Il me fallait de nouvelles émotions, de nouveaux horizons ; aussi, je décrétais qu’elle serait encline à plus de masochisme. Aussitôt, elle me supplia de la frapper, de la lacérer, de la torturer, de la tourmenter, de l’entraver de chaînes et de la fouetter.
De nouveau, les jours filèrent sans nuage ni fatigue.
Elle entretenait la maison et mon linge avec entrain et me préparait des mets délicats et imprévus, tout emprunts de parfums et d’épices allochtones exotiques qui maintenaient mon appétence libidineuse à son niveau maximum.
Les journées s’effilochaient au rythme cadencé de son pas diligent traversant les pièces et les heures alanguies.
Je n’avais qu’à me laisser fondre dans le pongo un verre, toujours plein par ses soins, dans une main et la télécommande de la télé dans l’autre.
Je n’avais qu’à attendre que, ses tâches ménagères terminées, elle vienne me prendre par la main pour m’entraîner sauvagement vers l’arène de nos ébats lubriques.
Ses appétits érotiques ne cessaient de s’accroître.
Son corps ne cessait de frémir d’ondes charnelles aux arômes de cyprine.
Elle atteint bientôt un paroxysme dans ses fringales de sexe et brutalité qui me dépassait.
Dans un dernier sursaut, juste avant de tomber d’épuisement, je lui enjoignis de se calmer.
Elle était penchée sur moi, son visage tout près du mien, ses lèvres couraient sur les miennes et sa main enserrait mon sexe pour le réanimer.
Je crus défaillir en lisant dans ses yeux de braises ses désirs pervers inassouvis qui dansaient comme des démons dans les flammes de l’enfer.
Puis elle disparut soudainement vers le salon.
- « Viens Yfig » me dit-elle, et sa voix semblait calme et posée.
Je la rejoignis non sans efforts.
Elle était assise à la table et une feuille de papier A4 couverte d’une écriture fine qui n’était pas la mienne reposait devant elle.
Je m’assis face à elle.
- « Il faut que je te dise quelque chose qui va te faire du mal.
Tu n’es pas réel, tu es un être virtuel que j’ai décrit et créé par des mots sur ce papier.
Mais aujourd’hui, je suis bien fatiguée de tes frasques incessantes, de tes algarades, de tes débauches, de tes infidélités, de ton cynisme, de tes inconstances perfides. Et puis tu me lasses, tu n’as plus d’attraits ni de vitalité. »
Elle prit entre ses longs doigts fins et délicats la feuille de papier qui gisait sur la table, me fixa sans aménité ni agressivité, et, du pouce et de l’index de ses deux mains je la vis entreprendre le geste fatidique.
Je sentis une immense déchirure, puis, plus rien.